Sujet de débat, voire de polémique, la définition de ce qu’est une « vraie » photo existe-t-elle ?

Photos de reportage, artistiques, allégoriques, photomontages, l’histoire de la photo montre que tous ces styles sont apparus en même temps que la photographie, dès les années 1840 afin d’exprimer toute une palette d’émotions.

La définition du Larousse, ou plutôt ses définitions, du mot photographie sont les suivantes :
1- Procédé permettant d’enregistrer, à l’aide de la lumière et de produits chimiques, l’image d’un objet.
2- Reproduction de l’image obtenue, qu’elle soit ou non un phototype. Synonymes : cliché – diapositive – épreuve – instantané
3- Ensemble des techniques d’enregistrement de rayonnements électromagnétiques par des procédés photochimiques.
4- Description précise et objective visant à définir un état, à un moment donné : Les sondages sont une photographie de l’opinion.

Pas beaucoup d’émotion dans tout ceci …

Pour Wikipedia, « La photographie est un art visuel, qui consiste à enregistrer un sujet en image fixe, avec un ensemble de techniques, de procédés et de matériels. […] Les usages de cette technique ont évolué, et sa dimension professionnelle et artistique a notamment été reconnue. »


Les débuts de la photographie

En 1822, Nicéphore Niepce parvient par la simple action de la lumière à copier le portrait dessiné du pape Pie VII sur une plaque de verre enduite de bitume de Judée, une substance photosensible qui durcit lorsqu’elle est exposée à la lumière.
On lui attribue la première vraie photographie en 1826 ou 1827. Cette photographie, intitulée « Point de vue du Gras », a été prise depuis de sa fenêtre à Saint-Loup-de-Varennes, avec un procédé appelé héliographie qui utilise une plaque d’étain recouverte de bitume de Judée. L’exposition a duré environ huit heures.

Point de vue du Gras, Niecéphore Niepce, 1826

Niepce collabora ensuite avec Louis Daguerre pour concevoir un procédé photographique amélioré baptisé physautotype, précurseur du daguerréotype. Ils signent un contrat d’association qui stipule que l’invention est due à Joseph Nicéphore Niépce. Mais la mort subite de Niépce le 5 juillet 1833 laisse le champ libre à Daguerre, qui s’attribue le mérite principal de l’invention de la photographie. Entre 1833 et 1839, il met au point le procédé qu’il décide d’appeler daguerréotype, basé sur les propriétés de l’iode comme agent sensibilisateur sur une plaque de cuivre recouverte d’une couche d’argent. Utilisant le principe du développement d’une image latente, ce procédé raccourcit le temps de pose de quelques heures à quelques dizaines de minutes seulement.
Cette découverte, communiquée en janvier 1839 à l’académie des sciences est acquise dès l’été 1839 par l’État français contre une pension annuelle de 6 000 francs à Daguerre et de 4 000 francs au fils de Niécephore Niépce. L’engouement du public est immédiat. Le daguerréotype se répand rapidement dans toute la France, en Europe, puis dans le monde entier.

Photos documentaires, journalistiques

Peu de temps après l’invention de la photographie, les premiers reportages photographiques ont jeté les bases du photojournalisme moderne, utilisant la photographie non seulement pour documenter des événements mais aussi pour les raconter de manière narrative et émotionnelle. On peut notamment citer :

1855 La guerre de Crimée par Roger Fenton

Roger Fenton : Envoyé en Crimée en 1855, son travail documentant les soldats et leurs conditions de vie pendant la guerre est souvent cité comme l’un des premiers reportages photographiques de guerre. Ses photos étaient principalement mises en scène et ne montraient pas les horreurs du champ de bataille, mais elles ont marqué le début du photojournalisme de guerre.

1861, M. Brady, la guerre de Sécession
1861, M. Brady, la guerre de Sécession

Mathew Brady a pour sa part constitué une équipe de photographes pour documenter la guerre de Sécession aux États-Unis (1861-1865). Son studio a produit une vaste archive d’images de champs de bataille, de soldats et des scènes de campement.

Photos artistiques

Le noyé de Bayard, Considéré comme la première photo artistique
Le noyé de Bayard, Considéré comme la première photo artistique

La première photographie considérée comme une œuvre artistique est une image d‘Hippolyte Bayard prise en 1840, un an seulement après la présentation du procédé de Daguerre. Bayard avait inventé un premier procédé photographique de négatif sur papier. Il met au point en mars 1839 un second procédé permettant d’obtenir directement des positifs par l’exposition dans la chambre noire d’une feuille de papier préalablement sensibilisée. En juillet 1839 il présente la première exposition de photographies de l’histoire.
Mais il arrive trop tard, l’académie des sciences soutient déjà le procédé de Louis Daguerre et entre-temps, l’Anglais William Henry Fox Talbot a inventé un procédé de négatif-positif, supérieur au sien, qui se voit relégué au deuxième plan.
Frustré par le manque de reconnaissance pour son invention, Bayard crée une mise en scène intentionnelle où il se présente comme un noyé. Cette photo est restée comme le premier exemple de l’utilisation de la photo pour transmettre un message ou une émotion, au-delà de la simple reproduction de la réalité.

Julia Margaret Cameron, photo allégorique 1860
Julia Margaret Cameron, photo allégorique 1860

Dans les années 1860, Julia Margaret Cameron est devenue célèbre pour ses portraits et ses compositions allégoriques, souvent inspirées de la littérature et de la mythologie. Ses photographies se caractérisent par une approche floue et rêveuse, visant à capturer l’âme et l’émotion.

Ces photographes et leurs œuvres ont contribué à établir la photographie non seulement comme un moyen de documentation mais aussi comme une forme d’art à part entière.

Photomontages, retouches trompeuses

Il n’a pas fallu attendre longtemps après l’invention de la photographie pour que certains aient l’idée, l’envie artistique, de faire autre chose que de faire poser quelqu’un devant un appareil.

1857, Rejlander, premier photomontage
1857, Rejlander, premier photomontage

Dès 1857, Oscar Gustave Rejlander combine plusieurs négatifs pour créer une scène allégorique qu’il intitule « The Two Ways of Life ». Cette composition complexe est considérée comme le premier photo montage.

Mathew Brady n’était pas seulement un photo reporter, c’était également un maître de la retouche, et bien avant photoshop ! Il est connu pour avoir réalisé plusieurs portraits d’Abraham Lincoln, a qui l’on doit l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis. Ses portraits étaient travaillés pour minimiser l’aspect dégingandé et émacié du président. Le portrait ci-contre de Lincoln en 1960 n’a de lui que la tête. Tout le reste vient d’un portrait de John C. Calhoun, politicien pro-esclavage, peint par Thomas Hicks. La supercherie n’a été découverte que près d’un siècle plus tard, en observant que Brady avait inversé la tête de Lincoln, ce qui plaçait son grain de beauté du mauvais côté.

Si la photo de Rejlander ci-dessus est manipulée techniquement avec une intention purement artistique, d’autres ont eu l’idée de le faire avec des intentions beaucoup moins louables. Des exemples célèbres montrent des personnages publics effacés sur des clichés au gré des changements de régime. Ci-contre à gauche une photo de Staline en 1924 et la même à droite publiée en 1939 alors qu’il était au pouvoir !
Le développement logiciel a certes beaucoup facilité ce travail de retouche mais celui ci existait bien avant la photo numérique.

portrait de Staline en 1924, et celui publié en 1939
portrait de Staline en 1924, et celui publié en 1939

La photo : un art aux multiples facettes, depuis sa création

On voit à partir des exemples ci-dessus que les différents usages de la photographie, bons et mauvais, ont été quasiment co-créés en même temps qu’elle. Et ce n’est guère étonnant car le besoin de représenter le monde de façon réaliste, documentaire ou journalistique mais aussi allégorique et artistique, existait bien avant l’invention de la photographie. Bien que la majorité des scènes dans les grottes préhistoriques ornées soient réalistes et naturalistes, certaines peuvent être interprétées comme ayant des dimensions allégoriques ou symboliques. Les bas reliefs, les fresques des temples montrent des scènes de la vie quotidienne, de guerre, mais aussi des êtres fantastiques. Les peintres de toutes les époques ont utilisé ces différents modes de représentation du monde. Pourquoi en serait-il autrement pour la photographie ? La photographie n’est qu’un outil parmi d’autres pour s’exprimer. Elle offre le même champ des possibles que la peinture et avec encore plus de liberté et de facilité depuis qu’elle est devenue numérique.

Photo souvenir, photo perso

La photo, surtout depuis qu’elle ne nécessite plus de longues minutes de temps de pose et que le matériel s’est miniaturisé, permet de saisir des « instantanés » comme le rappelle la définition du Larousse, ouvrant la voie à des photos plus spontanées pour ce qui est des portraits et à une grande variété de sujets.

On estime qu’en 2023 plus de 1.4 milliards de photos ont été prises chaque jour ! L’arrivée des smartphones, qui met un appareil photo dans toutes les poches, et celle des réseaux sociaux qui incitent à partager ses clichés a fait exploser ce nombre.

Beaucoup, sinon la majorité de ces instantanés ne seront cependant vus que pendant une brève période (regarde ce que j’ai mangé au restaurant, admire moi devant le temple de Lempuyang à Bali !).

D’autres ne seront partagés qu’avec la famille ou les proches ayant vécu ensemble un événement comme un anniversaire, un mariage. Dans cette rubrique, on peut également ranger les « photos carte postale » : photos qui permettent de se souvenir d’un voyage, d’un lieu, d’un monument mais sans intention particulièrement journalistique ou artistique derrière. Leurs qualités photographiques, artistiques, peuvent être bien présentes, mais elles sont secondaires par rapport à la charge émotionnelle qu’elles portent, support de précieux souvenirs. Elles seront toujours irremplaçables et ne sont pas près de disparaître.

Les neuro scientifiques des générations futures auront matière à étudier comment ces supports visuels impactent ou non notre capacité de mémorisation, de traitement de l’émotion.

Bali, Lempuyang, 4h de queue pour une photo

Ci-dessus : Bali, temple de Lempuyang. Certains touristes font jusqu’à 4h de queue pour qu’on prenne d’eux en 1 minute chrono 6 photos (pas une de plus !) au smartphone…

Photos naturalistes, documentaires, journalistiques, historiques

Il est clair qu’un des avantages de la photo c’est de permettre l’enregistrement d’une scène, bien plus facilement et rapidement qu’avec une peinture ou un bas relief ! Mais ce n’est pas parce que c’est une de ses fonctions que c’est la seule acceptable.
On admet implicitement qu’une scène de bataille sur un temple égyptien ou khmer n’est pas une représentation historique exacte, ou qu’un tableau ne représente pas nécessairement la réalité. Mais par défaut, on s’attend à ce qu’une photo le fasse et on demande, ou même exige, que l’auteur indique si ce n’est pas le cas, ce que l’on ne demande pas à un peintre.

Portrait arrangé d'Anne de Cleves
Portrait arrangé d'Anne de Cleves

Et pourtant… Un peintre payé pour réaliser un portrait met rarement en évidence la vilaine verrue ou l’air méchant de son modèle.
Certaines princesses ont ainsi transmis des portraits bien flatteurs à leur futur époux.

En 1539, Henri VIII cherchait une nouvelle épouse après la mort de Jane Seymour, sa troisième femme. Pour des raisons politiques, Thomas Cromwell, le principal conseiller du roi, suggéra Anne de Clèves, une princesse allemande. Hans Holbein le Jeune, l’un des peintres les plus renommés de l’époque, fut envoyé en Allemagne pour peindre un portrait d’Anne afin que le roi puisse évaluer sa beauté avant de l’épouser. Le portrait ci-contre qu’il a réalisé la montrait sous un jour très flatteur.
Lorsque Anne arriva en Angleterre, Henri fut profondément déçu par son apparence et tenta de faire annuler ses fiançailles. Le mariage fut prononcé pour ne pas compromettre l’alliance avec Clèves, mais annulé six mois plus tard, officiellement pour fait de non-consommation et des fiançailles antérieures d’Anne avec François Ier de Lorraine.

De nombreux tableaux « historiques » sont également connus pour donner une version bien arrangée de la réalité. Le peintre David a ainsi présenté « Napoléon franchissant les Alpes » sur un cheval fougueux dans une pose héroïque et dramatique, pointant vers l’avant alors qu’historiquement, Napoléon a traversé les Alpes en suivant un itinéraire difficile, monté sur un mulet. Les exemples de ce type ne manquent pas, et à toutes les époques.

Ethique et photographie

L’éthique s’applique à tous les aspects de la photographie, incluant la capture de l’image, son traitement, sa diffusion et son utilisation. La volonté, ou l’absence de volonté de tromper peut se loger à chacune de ces étapes, pas seulement lors du post traitement.

Si la retouche sur la photo de Staline montre à l’évidence une intention de tromper, que dire d’un photographe qui congèle un insecte pour le positionner à sa guise sur une feuille, ou qui nourrit des animaux sauvages pour les prendre en photo ? Même si aucun post traitement n’est ensuite fait sur cette photo, est-elle éthique pour autant ?

Les photos de la guerre de Crimée de Roger Fenton ne montrent aucun des aspects brutaux de cette guerre. Dans la photo ci-dessus, la scène n’a surement pas demandé des heures de pose. Il aurait donc été techniquement possible de montrer des hôpitaux de campagne ou un champ de bataille. En 1855 comme aujourd’hui, le choix du sujet, la focale utilisée, englobant toute une scène ou se focalisant sur des détails, influencent considérablement le message transmis. Sans même avoir l’intention manifeste de tromper le public, comme dans la photo de Staline, le reporter ne voit qu’une petite partie d’une situation, et il ou elle ne peut complètement se libérer de sa culture, de ses émotions, sans parler de son rédacteur en chef. Il n’y a pas de « vérité » qu’il faudrait transmettre par une photo. C’est une utopie. Il y a des points et des prises de vues variés d’une situation. Disposer de plusieurs sources d’informations, relayant diverses opinions, que l’on peut croiser, reste le meilleur outil pour s’assurer d’appréhender une situation du mieux, ou du moins mal possible. Enseigner dès l’école aux enfants à analyser les documents, les photos, c’est un rempart indispensable pour éviter la propagation des fake news ou des théories complotistes.

 

Photos artistiques

L’intention de tromper, que l’on trouve aussi bien en peinture qu’en photo est évidemment sans objet en ce qui concerne la photo artistique. Dans le respect de ses modèles éventuels et du droit à l’image et à la publication, l’artiste a tous les droits ! Son objectif est de déclencher une émotion. Celle ci peut être positive comme négative. Devant une toile unie blanche, ou face à une banane scotchée sur un mur, certains crient au génie, d’autres au f.. de gueule, mais ça fait réagir. L’artiste a tous les droits et le spectateur a aussi tous les droits d’aimer ou non.

Quand on voit une petite fille avec des ailes dans le dos, on ne pense pas une seconde que l’auteur a voulu nous tromper, nous faire croire que les anges existent vraiment (quoique 😉). Nul besoin de préciser qu’il s’agit là d’une oeuvre d’imagination de l’artiste, même si la base est bien une photo.

Spontanément, beaucoup de personnes ne pensent cependant à la photo que dans l’acception exclusive de « description précise et objective visant à définir un état, à un instant donné » et considèrent le post traitement comme un « trucage », du « photoshoppage » ou autre terme avec une connotation négative. Certains vont jusqu’à réfuter le fait qu’on utilise le terme de photographie pour des images éditées.

Beaucoup de smartphones sont justement « smart » : s’ils voient que l’on prend une photo de coucher de soleil, ils accentuent les couleurs chaudes, ou le ciel bleu et le vert de la prairie si c’est une photo de paysage. Il diminuent la netteté sur la peau pour les portraits pour masquer les imperfections, ajoutent du flou d’arrière plan. Sur une photo de groupe ils peuvent combiner plusieurs photos pour en sortir une ou tout le monde sourit. Bref ils font déjà un gros travail de post production, mais un travail sur lequel le photographe a peu, ou pas du tout, la main.
Prendre ses photos en jpeg, avec un smartphone comme avec un boitier haut de gamme, c’est laisser au matériel le choix du post traitement.

Même les boitiers experts utilisent de plus en plus l’IA pour ajuster l’exposition, les couleurs, et ceci d’une manière qui varie suivant le pays d’achat du boitier pour être en accord avec les habitudes culturelles de l’acheteur.

Certains publient « un raw » en ajoutant, comme si c’était la qualité ultime, « aucune retouche ». Là encore c’est oublier qu’on ne peut pas publier sur internet ou imprimer un fichier numérique raw qui n’est qu’une suite de 0 et de 1 et que celui-ci a été nécessairement traduit en image visible. Cette traduction varie grandement suivant le profil colorimétrique qui est appliqué par le logiciel de dématriçage (derawtisation). Par conséquent prendre une photo, même en raw, et ne « rien faire » dessus c’est en fait laisser la machine choisir à sa place. Pas très satisfaisant ! Un cliché raw, brut DOIT être développé pour être simplement visible. Et c’est au photographe de choisir la façon dont il veut restituer l’émotion qui l’a fait appuyer sur le déclencheur.

On peut regretter à juste titre, que sur certaines photos, le traitement devienne son principal intérêt. On dit souvent qu’il y a trois choses essentielles pour faire un bon film : le scénario, le scénario et le scénario. Pour une photo c’est pareil : l’essentiel c’est le sujet, le sujet et le sujet ! Sans sujet l’oeil quitte de suite la photo et il n’y a pas d’émotion qui puisse être produite. La photo c’est écrire nos émotions avec la lumière. Le post traitement doit exclusivement servir à mettre ce sujet en valeur.

Faut-il que le photographe précise son intention ?

Monet, les coquelicots à Argenteuil
Monet, les coquelicots à Argenteuil

Je n’ai jamais vu dans un musée de notice explicative sous une toile disant que l’artiste a volontairement mis des touches de couleur au lieu de dessiner avec soin des coquelicots. Ou qu’il a mis un cheval dans le paysage qui n’y était pas quand il a posé son chevalet. Est-ce que j’aime une toile parce que le peintre a utilisé tel ou tel pigment, a ajouté un collage ou s’en est abstenu pour faire une « vraie » toile ? Pourquoi exiger du photographe qu’il explique comment il a abouti à sa photo ?
Dans la mesure ou un photographe ne prétend rien sur sa photo, qu’il n’affirme pas par exemple « c’était exactement comme cela » alors qu’il a supprimé des touristes, augmenté la saturation, changé le ciel, pourquoi lui demander des comptes sur son image ? Le spectateur est toujours en droit de ne pas aimer. Mais pourquoi une photo serait elle plus « aimable » parce que le touriste n’a pas été supprimé ? Qui me dit que cette femme et cet enfant étaient là quand Monet a peint son tableau ? Est-ce que le fait de le savoir change mon regard sur l’oeuvre ?

Dans la majorité des situation, l’intention du photographe est évidente.
– Si je lis un quotidien et que je vois une photo de reportage, je ne cherche pas à l’interpréter de façon artistique, et si le photoreporter a modifié cette image de telle sorte qu’elle change de sens, par exemple en faisant disparaître un immeuble en ruine, ou en ajoutant un personnage, c’est évidemment un manquement grave à l’éthique qui n’est pas acceptable.
– Si une amie me montre les photos de ses petits enfants, non seulement cela m’est bien égal qu’elle ait supprimé en post traitement la poubelle rouge, ou flouté l’arrière plan, mais je préfère qu’elle le fasse pour que le sujet soit mis en valeur et que mon attention ne soit pas attirée par des éléments sans aucun intérêt car ne participant pas à l’histoire que raconte cette photo.
– Si dans une exposition, un club photo, ou sur un groupe dédié à la photographie je regarde une photo il va de soi que l’auteur est dans une démarche artistique, surtout si le groupe se consacre à l’apprentissage des techniques de post traitement.

Connaître les exifs n’est intéressant que lorsque les choix techniques sont déterminants pour le résultat (pose longue, photos de nuit, profondeur de champ…). Il me semble tout à fait normal de les donner, et d’indiquer les principales étapes du développement, si elles sont demandées dans le cadre d’un apprentissage. Mais sinon, leur connaissance ne fait pas aimer plus ou moins le résultat, tout au plus admirer la maîtrise du photographe. Et en tous cas ce n’est jamais une indication de la « véracité » d’une photo.

La question de la véracité d’une photo se pose depuis plusieurs années dans le domaine scientifique. Les grands journaux scientifiques (Nature, Science…) passent de plus en plus de temps, et d’argent, à vérifier les figures proposées pour un article. On demande aux auteurs de fournir un nombre sans cesse croissant de fichiers originaux, de données brutes, de photos non recadrées. Des logiciels comparent dans tous les sens les photos et les textes à des bases de données d’articles. Cela limite considérablement la fraude, mais cela ne l’empêche jamais à 100%. Des chercheurs et des sites (pubpeer) se sont spécialisés dans la recherche d’images trompeuses dans les publications, et ils en détectent tous les jours.

Alors, si dans un groupe ou dans un concours photo on demande aux auteurs de prouver qu’ils sont bien les auteurs de la photo, que celle-ci n’a pas été « exagérément » modifiée, cette exigence est bien difficile, sinon impossible à vérifier.
Il faudrait déjà définir cet « exagérément » et surtout il faudrait avoir les moyens de vérifier que la règle est bien respectée.
Donner les exifs d’une photo n’est en rien une assurance. Même les fichiers raw peuvent être modifiés.

Restent les bonnes questions : est-ce que cette photo est belle ? Est-ce qu’elle procure une émotion chez moi ? Si c’était un tableau est-ce que je me poserai la question de l’aimer ou non ?

Et l’IA dans tout ça ?

Il est impossible aujourd’hui, en 2024, d’anticiper les changements que l’IA apportera dans tous les domaines. Pas plus qu’au début des années 90 on ne pouvait anticiper l’impact d’internet.
Ce qui est certain c’est que ce domaine ne va cesser de se développer et de progresser techniquement. C’est un outil. Et comme pour tous les outils, ce qui est important, c’est ce qu’on en fait.

Même si des marqueurs sont ajoutés aux images générées par IA, qui ira vérifier leur présence, mis à part peut être quand la photo a un impact politique, journalistique important ?
Récemment une vraie photo, d’un flamant rose, est arrivée sur le podium d’un concours d’images générées par IA ! Inversement un concours international renommé de photo a été piégé par une photo générée par IA. On le sait parce que dans les deux cas les auteurs se sont « dénoncés ». Mais cela montre bien la difficulté d’identifier la part de l’IA dans une photo.

Ce que je crains pour ma part avec l’IA, ce n’est pas tant son usage, que l’habituation de nos cerveaux à des images très spectaculaires. Déjà les filtres Instagram et les outils de modification de nos photos sur les smartphones ont entrainé une multiplication d’images très saturées, avec des ciels dramatiques, des ambiances très fortes. L’IA ne va que renforcer cela je le crains, car c’est comme pour toutes les drogues : on s’habitue, on se désensibilise et pour obtenir le même plaisir, le même effet, il faut augmenter la dose.

Mais heureusement, les photos de nos proches, des bons moments, celles qui nous procurent des émotions seront toujours là. Je suis pour ma part convaincue que l’IA ne tuera jamais la photo. Même si il y a beaucoup mieux que la photo du zoziau sur sa branche que j’ai prise, même si l’IA en ferait une bien plus spectaculaire, ça ne remplacera jamais le souvenir que j’ai de cet affut !


En guise de conclusion

Retenons qu’il n’y a pas UNE définition de la photo (la notre !). La photo est un art multiple et il y a un continum depuis la photo prise au smartphone et partagée de suite et le photo montage ou la photo fine art qui ne garde que quelques éléments de la photo de départ et demande des heures de post traitement. Toutes ces utilisations sont nées en même temps que la photo, toutes y ont leur place et l’IA prendra la sienne à terme.

Au lieu de nous focaliser sur nos craintes, sur ce qui pourrait arriver ou au contraire disparaître, regardons une image pour ce qui nous fait du bien, ce qui nous procure une émotion, ce que l’on trouve beau, sans chercher forcément à décortiquer comment cela a été fait. Il y a assez de sujets d’inquiétude et de choses moches à voir pour en rajouter 🙂

Florence Cabon, Sydney, vision fine art de l'Opéra
Sydney, vision fine art de l'Opéra, Florence Cabon

Article rédigé par Florence Cabon, FotoFlo.
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Et vous, comment définiriez vous l’art photographique ? Dites le en commentaire ci-dessous !

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