« Je voudrais mettre sur ce mur, en face de la cheminée, un tirage d’un paysage de montagne. Avec un lac, ce serait parfait, un sommet qui s’y reflète, un arbre, un pin par exemple, qui pousse sur une rive, et le tout baigné dans une lumière de coucher de soleil. Ça ferait bien, non ? Toi qui es photographe, tu n’aurais pas ça ?
— Ça peut se trouver. Je vais voir ça avec mon ordinateur, laisse-moi un petit moment… »
C’était vrai qu’une telle image sur ce mur serait du plus bel effet.
« Tiens, est-ce que ceci te convient ?
— Wouahou ! Mais c’est exactement ce que je voulais, c’est magnifique ! C’est pris dans quel coin, les Pyrénées, les Alpes, la Suisse ?
— Rien de tout ça. C’est un paysage qui n’existe pas, qui a été créé de toutes pièces, à partir de quelques mots-clés, par une intelligence artificielle. »
Intelligence artificielle ! Voici lâchés les deux mots qui, une fois accolés, suscitent depuis quelque temps bien des espoirs, bien des craintes, bien des passions. L’IA (comme on l’appelle pour faire plus court) est-elle un magnifique progrès ou une chose diabolique ? Ne comptez pas sur moi pour trancher entre ces deux positions, mais simplement pour tenter d’y voir plus clair, en me cantonnant bien sûr à la photo. Sans perdre de vue que des systèmes similaires existent dans d’autres domaines artistiques tels que la musique, la littérature, la poésie, etc.
On en voit de plus en plus, de ces images, parfois farfelues, souvent très belles, obtenues sans appareil photo et sans objectif. Elles sont entièrement générées à partir de quelques mots-clés fournis par l’utilisateur à un logiciel, qui va plonger dans une base de données de plusieurs millions d’images circulant sur le web. Il arrive (pour l’instant) que le rendu ne soit pas très convaincant, cependant, en paysage particulièrement, le résultat peut être bluffant. Qui n’aimerait pas être l’auteur d’un cliché comme celui présenté ci-dessus ?
Regardons vers le futur et demandons-nous quelles pourraient être les conséquences de cette technologie. En tête des préoccupations vient la crainte que les photographes soient prochainement éliminés. Pourtant, cette inquiétude est facile à balayer. La retouche et le photomontage n’ont pas supprimé la photo naturelle (comme certains l’avaient prédit à l’époque), le smartphone n’a pas supplanté le boîtier, et de manière générale, la photo n’a pas fait disparaître le dessin ni les arts graphiques.
Au contraire, chaque évolution a permis à un plus grand nombre de gens de découvrir les joies de l’image. L’IA ne tuera pas la photo telle que nous avons du plaisir à la pratiquer, toutefois elle apportera sans doute beaucoup de confusion dans cette discipline.
Autre point à considérer, celui de la propriété intellectuelle. À qui appartient une scène ainsi créée ? À celui qui a choisi les mots-clés, à l’éditeur du logiciel ? Ou aux auteurs, qui peuvent être nombreux, des clichés dont l’IA est allée prendre des petits bouts un peu partout sur Internet ? Pour former ce beau paysage alpin, l’IA a peut-être « emprunté » des extraits dans plusieurs images de montagne, un autre dans une banque servant à identifier des arbres, un ciel venu d’une photo postée sur Facebook ou Instagram… Il est impossible de connaître les sources, et même la quantité de pièces constituant la mosaïque finale.
En somme, ces IA créatrices ne seraient que des plagiaires, et peut-être reconnaîtrez-vous un jour une de vos photos de vacances ou la maison de votre sœur en admirant une illustration dans un magazine.
C’est bien sûr dans le domaine de l’éthique que l’inquiétude est la plus vive. Déjà, des concours (c’est normal) ainsi que des sites de partage de photos interdisent les images issues de l’IA. À l’heure où l’on entend encore des réflexions à propos de photos retouchées qui ne seraient pas de vraies photos, on peut se demander où est la limite. Si, sur un cliché de paysage, on supprime un fil électrique, a-t-on dénaturé la réalité ? Pas vraiment. On s’est contenté d’ôter un élément disgracieux, comme si l’on avait, à la main, ramassé un bout de papier abandonné au milieu du décor avant de shooter. Et si l’on remplace le ciel pour embellir l’image ?
Personne ne niera que nous avons modifié en profondeur la scène qui était devant l’objectif, en transformant un composant très important. Est-ce que cela pose un problème ? Peut-être. Le résultat est plus beau, plus agréable à l’œil, cependant n’avons-nous pas le devoir, dans certains cas, de prévenir le spectateur ?
Pour une photo présentée à des amis, encadrée dans son salon, cela n’a guère de conséquences. Pour un cliché proposé à d’autres passionnés sur un réseau social, n’a-t-on pas l’obligation morale de signaler le changement effectué ?
Exposer en détail les conditions de prise de vue (les exifs, entre autres) en même temps que le résultat final pourrait devenir la norme. Cela permettrait de distinguer les images « IA » des autres, et aussi de savoir jusqu’à quel point le traitement a amélioré (dénaturé ?) la scène réelle.
Le problème, s’il y en a un, se trouve probablement dans l’intention du photographe. Il n’y a probablement aucun souci à exposer une photo artificielle en la présentant comme telle. Toutefois, si elle est prétendument vraie, il y a tromperie. Le monde de la photo n’a pas attendu l’IA pour truquer les images. Bien des montages ont été utilisés en politique pour modifier la réalité, par exemple en faisant disparaître un personnage devenu indésirable. En publicité ou en portrait, toutes les images sont travaillées pour éliminer les défauts d’un produit ou parfaire un visage en gommant quelques imperfections. C’est lorsque ces photos modifiées sont présentées comme étant le reflet de la réalité que le danger approche. Tel photographe prétendra peut-être avoir réussi le cliché que tous espéraient réaliser, alors qu’il aura seulement eu recours à l’IA… en oubliant de le préciser. Une solide déontologie va rapidement devenir indispensable pour encadrer « l’intention » dont je parlais plus haut.
Ne nous leurrons pas, qu’il soit bon ou mauvais, le train de l’IA est lancé, et rien ne l’arrêtera. Comment réagir ? Quelle attitude adopter devant la déferlante annoncée ? On pourrait être tentés par le challenge, se mettre délibérément en concurrence et essayer de faire mieux que le « robot ». C’est déjà difficile, et n’en doutons pas, cela sera très vite impossible. La machine a en sa faveur bien des atouts. Par exemple, en paysage, elle a en quelque sorte le pouvoir de contrôler la météo. Est-ce une raison pour renoncer ? Bien sûr que non.
Si on lui demande de générer une illustration du célèbre val d’Orcia en Toscane, elle créera immanquablement une image quasi parfaite, alors que si un photographe humain se donne la peine de se déplacer jusque là-bas, il est probable que son cliché sera moins irréprochable, étant soumis aux aléas de la réalité.
Cependant, lui sera vraiment allé au val d’Orcia !
Et vous, quel est votre avis ? La création d’images par IA est-elle un progrès qu’il faut apprendre à maîtriser, comme ceux qui l’ont précédé, ou une diablerie dont il est préférable de se méfier, car elle pourrait mener à la confusion et au chaos ? Dites-moi dans les commentaires ce que vous en pensez.
Quelques liens vers des sites permettant des créations d’images par IA :
DreamStudio : https://beta.dreamstudio.ai/dream
Midjourney : https://www.midjourney.com/
Dall-e : https://openai.com/blog/dall-e-now-available-without-waitlist/
Craiyon (petit frère du précédent) : https://www.craiyon.com/
Photosonic : https://photosonic.writesonic.com/?via=leptidigital
Generated.photo (portrait) : https://generated.photos/
Attention, d’une part, tous ces sites sont en anglais, d’autre part l’utilisation de la plupart d’entre eux n’est pas gratuite. Je ne les ai pas tous testés.
Toutes les illustrations de cet article ont été générées par intelligence artificielle.
Article rédigé par Claude Attard.
Le regretté Michel Audiard dans l’un de ses dialogues de film faisait dire à Françoise Rosay avec son inimitable intonation: « C’est un désastre, faut s’y faire… » C’est un peu à ce même commentaire que les différents points de vue présentés ci-dessus me font penser. Les éléments exprimés, à part celui d’Elisabeth Lys-Bartier se ramènent à nier tout problème: l’humanité comme elle l’a toujours fait va survivre à cette évolution technologique…oui évidemment! mais avec nos premiers appareils photos, « Merci Kodak » qu’ils étaient beaux ces rectangles de papier en couleur que l’on recevait du labo photo et qui contenait une capture maladroite d’un petit moment d’éternité, un instant de pure émotion cristallisé. Il n’est pas rare qu’une larme brûle nos paupières lorsque nous les retrouvons aujourd’hui au fond d’un tiroir. Qu’en sera t-il de ces images d’I.A. dans 50 ans ?
On aborde là un autre domaine et un autre sujet de polémique : quelle est la différence entre la photo qui est de l’art et la photo qui est du simple souvenir ? Dans la première, il y a au moins un peu de la sueur du photographe, dans la seconde, surtout un souvenir personnel. En écrivant cela, je me dis que la différence tient peut-être au fait que quand c’est de l’art, tout le monde peut être le destinataire et tout le monde peut (ou pourrait) saisir ce que le photographe a voulu exprimer. Quand c’est du souvenir, ça s’adresse essentiellement aux proches de celle ou celui qui a shooté, le contenu étant essentiellement perso, voire intime. Cas extrême : le selfy devant la tour Eiffel. Il rappellera sans doute de bons souvenirs à son auteur, mais il est sans intérêt pour une autre personne.
Tout comme toi, je suis incapable de prévoir avec précision où va nous mener cette intrusion de l’IA dans la photo. Mais je suis certain d’une chose : ce n’est pas la mort des photographes professionnels !
La photo n’a pas tué les peintres. Non seulement il y en a toujours, mais leurs œuvres se vendent de plus en plus cher, alors qu’elles sont parfois de plus en plus simplistes.
J’avais une dizaine d’années quand les premiers agrandisseurs ont été proposés aux amateurs. Mon père a été l’un des premiers à en acheter un. Les photographes étaient très inquiets pour leur profession. Qu’allaient-ils devenir si les gens tiraient eux-mêmes leurs photos dans la salle de bain ? Ça ne les a pas tué. Plus tard, les amateurs ont pu effectuer des tirages en couleur, puis traiter leurs diapos, puis le numérique est arrivé… Et chaque fois, on annonçait la mort de la profession. Pourtant, je n’ai jamais connu autant de gens qui parvenaient à vivre de la photo qu’en ce moment. Ils vendent du traitement, de la technique de pointe, de la formation, des stages sur le terrain, etc.
Et voilà l’IA. Elle ne tuera pas les photographes. Au pire, il y aura un nouveau métier : créateur d’images artificielles, des gens capables de trouver exactement les mots-clés nécessaires pour une image précise.
Sans oublier qu’une photo n’est pas forcément une représentation de la réalité.
J’aime l’idée de séparer « esthétique » et « beau ».
Tu as illustré ton article avec une photo de la tour Eiffel. Il y a des milliers de cartes postales de cette tour, des millions de photos déjà prises mais les touristes auront toujours envie de prendre la leur. Pour beaucoup maintenant c’est parce qu’ils font un selfie devant, histoire de dire à leurs amis « moi j’y suis allé ». Mais pour d’autres, même si ensuite ils ne font aucun traitement, même si ils shootent en jpeg, ils ont choisi un cadrage et ils y ont mis une émotion qui restera toujours la leur et revoir cette photo leur rappellera un moment, peut être la personne avec qui ils étaient. Quand ils verront leur photo, ils auront une émotion qu’ils n’auront jamais en regardant une carte postale. La part de l’artiste c’est avant tout l’émotion. Il ne faut pas non plus je pense tomber dans ce biais de il FAUT développer sa photo.
Alors c’est la mort des photographes professionnels !
Mais ce n’est pas la mort des photos déjà faites naturellement ! Ce n’est pas la fin du renom de ces grands photographes déjà sités plus haut, william Klein, Irving Penn et bien d’autres !
Où sera le plaisir de prendre des photos sur le terrain ! De goûter les joies de la nature, le bivouac au pied d’un lac de montagne pour surprendre le chamois, le bouquetin, l’hermine, le sanglier qui viennent étancher leur soif au coucher du soleil !
Où sera le plaisir de surprendre les petits renardeaux au sortir du terrier !
J’ai vécu ses périodes de « dèche » dans les années 45-50, et nos parents bien plus. Mais aussi quel plaisir de connaître le renouveau, ces nouveautés qui nous aliènent et nous font souhaiter plus et mieux ! Où s’arrêtera le progrès !
En même temps nous en profitons, mais jusqu’à quand ???
Les rétrospectives d’expositions de grands artistes : photographes, peintres, sculpteurs, architectes sont et seront toujours appréciées du public. Qu’en sera-t-il de ces œuvres artificielles ?
Ne sommes nous pas dans un monde qui dérive petit à petit vers l’anéantissement de la race humaine…
Maintes réflexions qui me viennent à l’esprit, un peu décousues je l’avoue, mais l’IA nous fait poser beaucoup de questions. La porte est ouverte.
Je dirais qu’il y a deux volets à la question initiale : qu’est-ce qui fait qu’ une représentation de la réalité est « esthétique », devient de l’art -ce qui ne signifie pas beau, il existe une esthétique de l’horreur, y compris celle de la guerre? Cette question occupe depuis Platon et Aristote pas mal de philosophes, je ne vais pas en rajouter…. Cependant il me semble qu’il faut en photo y intégrer la notion d’imperfection, d’un espace non normé, d’un espace de liberté pour celui qui « créant » cette photo réinvente son regard au risque de se tromper mais en se confrontant à la réalité. L’IA se confronte à une banque de données et pour l’instant… ça se voit, l’artifice est lisible dans une perfection irréelle. Quand l’IA aura appris l’imperfection, ce sera une autre affaire!
L’autre question est d’ordre éthique et juridique et engage bien d’autres aspects, très dangereux pour la liberté de chacun , sur la manipulation en général, etc.
Mais l’IA sera présente partout bientôt. Et nous n’avons jamais su prévoir les conséquences de nos inventions.
Je suis toujours amatrice de SF, excitant et éclairant. Brrrr…
Eve L-B.
Certaines des questions que tu soulèves feront probablement l’objet d’un futur article.
Personnellement, je ne fais pas de différence entre une photo et une image. Depuis des siècles, la représentation du monde par l’image évolue. Chaque étape est la descendante de la précédente, jusqu’à parvenir à la prise de vue argentique, puis la prise de vue numérique, et enfin la possibilité de créer des œuvres en assemblant des photos (j’adore faire ça). Nous sommes à l’orée d’une nouvelle étape : l’automatisation du photomontage, qui sera, n’en doutons pas, une étape vers encore autre chose, dans quelques années. En attendant, à nous de l’utiliser de la façon qui nous semble la plus adaptée à ce que nous voulons créer, comme simple outil ou comme moteur principal.
Certes l’intelligence artificielle est bien là ; sans doute sera-t-elle de plus en plus présente et fera-t-elle partie de plus en plus de notre quotidien et cela dans des domaines très variés. Cela me paraît inéluctable.
Mais doit-on opposer l’IA appliquée à l’image – je n’ai pas dit « à la photo » – à la photographie ?
Une image entièrement créée par l’image artificielle ne sera donc jamais une photo mais peut-être un nouveau type d’œuvre qui va devoir se faire une place pour devenir à terme autonome.
Que l’IA soit présente dans les logiciels photos afin que certains traitements soient plus performants, parfait ; mais elle doit, à mon sens, rester à sa place, elle ne doit participer qu’à l’amélioration des performances d’un outil.
Une photo est et ne peut être, à mon sens, que le résultat de la relation du photographe à son sujet ainsi que du regard qu’il lui porte. Et cela ne changera pas, IA ou pas.
Je suis intimement persuadé que les photos des grands maîtres, de Cartier Bresson à Doineau, de Depardon à Capa, pour ne citer qu’eux, n’eussent pas été meilleures avec l’IA.
Ne convient-il alors pas de se poser les questions, même au delà de l’IA : Jusqu’où le développement doit-il aller ? Quelle est la limite à partir de laquelle une image ne peut plus être considérée comme une photographie ? Je pense, me semble-t-il, que c’est à chaque photographe de répondre à ces questions.
Tout a déjà été fait ? J’espère bien que non ! Oui, des gens font chaque jour des milliers de photos de la tour Eiffel, pourtant, on ne s’en lasse pas, et certains trouvent un nouvel angle, et trouvent surtout du plaisir à la shooter encore.
Je suis aussi de la génération qui a vu apparaître et disparaître les caméscopes. J’ai accueilli comme une dinguerie les premiers appareils avec autofocus. Je me suis demandé si ça valait le coup de passer au numérique, puisqu’il ne parviendrait jamais à égaler l’argentique en qualité.
Tu as certainement raison : l’IA vient de naître, mais est peut-être déjà en voie de disparition. Le progrès s’autodévore.
Je pense qu’il suffira de le préciser quand ce sera le cas. Si on ne dit rien, c’est que c’est une photo « normale » ou traitée dans des proportions normales. Avec modération…
La question est « peut-on s’opposer au progrès » plus que « doit-on s’opposer au progrès »? Je ne connais pas un domaine, qu’il soit technologique (tout ce qu’on utilise au quotidien), artistique (les éclairages scéniques par exemple), sportif (les équiments notamment) ou autre qui n’ait su, pu ou voulu se mettre des limites; pire, la science est tellement rapide qu’elle a vocation à tuer ce qu’elle a elle-même inventée; je fais partie d’une génération qui a connu des inventions exceptionnelles… aujourd’hui disparues: les magnétoscopes, cassettes audio et autres.
La photo n’échappera pas à cette logique; le noir et blanc puis la couleur en argentique; le numérique, le post-traitement; bientôt l’IA peut-être?
Mais au fait, pour exister, l’IA n’a-t-elle pas besoin de… photos?
Oui si j’ai bien compris cet excellent article, alors on aura toujours bien besoin de photographes, sauf à considérer que tout a déjà été fait! Mais rassurons nous, si tel était le cas, on ne s’évertuerait plus à prendre des photos qui existent déjà à des millions d’exemplaires; parlez-en à la Tour Eiffel par exemple!
En ce qui me concerne, la photo est un témoignage de ma vie, un témoignage que je raconte moi-même, à ma façon, selon l’inspiration du moment.
Mais je sais aussi que dans la vie, on n’est jamais arrivé et qu’il y a toujours ce que j’appelle « le coup d’après » celui qu’on ne connaît pas encore, celui qu’on ne connaîtra jamais car ne nous leurrons pas, l’IA n’est qu’une étape, pas un aboutissement.
Tu mets le doigt sur un point auquel je n’ai pas pensé en écrivant mon article : « qu’est-ce que l’art ? »
Ma définition personnelle, qui n’engage que moi, est que l’art, c’est quand on exprime quelque chose. Ce n’est donc pas forcément beau, mais il y a une expression, donc un vécu et une émotion.
L’IA crée des images qui rivalisent déjà avec les nôtres. Mais est-ce de l’art ? La machine peut appliquer à la perfection les règles de composition, de colorimétrie, des équilibres de lumière, éviter de boucher les ombres et de cramer les lumières, elle va produire des images parfaitement académiques, techniquement irréprochables et répondant à la moindre des règles en vigueur dans le monde du visuel.
Mais est-ce que ce sera de l’art ? Quelle émotion la machine va-t-elle exprimer ? Quel vécu personnel va la guider dans le choix de ce qu’elle va mettre en valeur ?
Si je comprends bien, les « vraies » photos, dûment identifiées, vont prendre de la valeur ? Je vais placer une copie de mes disques à la banque, on sait jamais…
Dans quelle catégorie places-tu une photo issue d’un cliché au départ banal, qui a été magnifié par le travail d’un post-traiteur expérimenté (qui peut être le photographe lui-même) ? Sans la prise sur le terrain, il n’aurait pas existé. Mais sans le traitement logiciel, il serait resté une image terne oubliée dans un disque dur.
Les limites entre le réel et le créé soulèvent bien des questions, en effet (ton exemple du tableau de David est parfait).
À l’inverse, on peut se demander si une image « brute de capteur » est de l’art. Où est la patte de l’artiste ? Quelle part de lui a-t-il ajoutée ? Qu’a-t-il créé ? Si son cliché est l’exact reflet de la scène photographiée, n’importe qui aurait pu faire le même.
Mais… Une photo est une image.
En tant que photographe, je me sens l’héritier de tous les « artistes visuels » qui m’ont précédé : les peintres, les graveurs, les dessinateurs, et jusqu’aux premiers hommes qui ont tracé des lignes sur les parois des grottes il y a plusieurs millénaires. Tous ces gens ont créé et créent des images en leur insufflant leurs émotions, seule la technique créative a changé au cours du temps. Et je ne pense pas que cette évolution va s’arrêter avec nous. Il y aura d’autres techniques après nous, qui remplacerons nos boîtiers numériques, comme nos boîtiers numériques ont remplacé les reflex argentiques de nos parents il y a 50 ans.
Alors, l’IA fera-t-elle partie de cette évolution ? En sera-t-elle une étape importante, ou juste une passade vers quelque chose d’encore plus extraordinaire ? L’Histoire le dira. Rendez-vous dans 50 autres années.
Bonjour, serons-nous obligés de nous justifier, à chaque fois que nous posterons une photo, que l’IA n’y est pour rien ?
je reste quand même très circonspecte quant à la création d’images avec l’IA
mais pourquoi appeler cela de la photo?
pour moi ce n’en est pas du tout
c’est une image, d’accord et, si on la considère comme telle, pourquoi pas
cependant, où se trouve la créativité du créateur puisqu’il lui suffit de donner des mots clés pour avoir une image ?
dans ses mots clés?
alors un enfant peut le faire sans problème
ce que j’ai vu , en plus, ne me convaint pas du tout
je trouve ça trop lisse et assez artificiel (en même temps, c’est normal, c’est artificiel)
je ne suis pas une photographe professionnelle et loin de là, ni une personne dont l’avis est circonstancié
oui, il y a des avancées avec l’IA et heureusement
pourquoi pas si on prend ces images pour ce qu’elles sont
mais pour moi en aucun cas ça ne passera devant une photo, même ratée …un peu
L’intrusion de l’IA dans le domaine de la photographie n’est qu’un des multiples aspects de l’arrivée du numérique. Les questions éthiques qui se posent ici sont très similaires à celles qui se posent dans bien des domaines. Les deep fakes, qui permettent de fait dire ce que l’on veut à quelqu’un dans une vidéo, les faux comptes de réseaux sociaux, qui peuvent répandre de fausses informations, influencer considérablement des élections, un cours de bourse, une attitude vis-à-vis d’un traitement médical ou d’une guerre. La technologie va toujours plus vite que la réponse éthique et juridique qu’elle entraine. Les exemples abondent et ce n’est pas du tout nouveau, cela n’a pas attendu l’arrivée du numérique. Photoshoper un portrait est standard en photo de mode et les tutos pour que chacun puisse facilement rendre mamie plus avenante ne manquent pas sur le net. Mais cette pratique était répandue depuis des siècles en peinture, et même systématique.
Il est extrêmement difficile de contrôler l’absence de « tricherie ». Cela demande déjà de définir ce qu’est une tricherie. Pour rester dans le domaine de la photo, certains revendiquent par exemple de publier des images « brutes de capteur ». C’est-à-dire qu’ils délèguent à leur appareil ou à leur logiciel le soin, le droit, d’interpréter la photo à leur place. L’IA est omniprésente dans les smartphones et à moins de la désactiver, elle détecte la présence de verdure, de coucher de soleil, de portrait et elle « magnifie » la scène en fonction de ce qu’elle pense que le photographe va aimer. La création d’un jpeg à partir d’un raw est une interprétation et le résultat sera différent suivant le logiciel utilisé. Il n’y a pas de doute qu’à l’avenir les boitiers comme les logiciels intégreront de plus en plus d’IA.
Des outils existent pour contrôler l’absence de manipulation d’un fichier numérique, le comparer à des documents existants (textes, images, vidéos, vois, musique) mais ces outils sont complexes et surtout utiles à des fins judiciaires ou lorsqu’un éditeur engage sa responsabilité sur l’authenticité du document. Le numérique ne fait que rendre plus accessible et rapide la manipulation de données mais choisir l’angle sous lequel on rapporte une situation, on la peint, la photographie a toujours été source de biais majeurs. Le tableau du couronnement de Napoléon par David est un magnifique exemple de manipulation !
La seule réponse à mon avis c’est l’éducation. Savoir qu’une image ne peut jamais être strictement un reflet de la « réalité » et accepter suivant le contexte un degré de traitement minimum (photo journalisme), intermédiaire (photos de vacances), ou libre (photos artistiques revendiquées comme telles).
Le traitement juridique des conflits de propriété intellectuelle se posera nécessairement et se résoudra par des procès, des textes limitant le droit d’usage des œuvres, comme cela s’est fait pour la musique et les œuvres littéraires.
Merci Claude pour cet article qui pose tant de problèmes. Je réfléchis depuis longtemps sur le conséquences de l’arrivée de l’IA dans la photo, je devrais dire de l’image. J’ai prôné que l’on indique systématiquement les exifs quand on publie une photo. Quelle que soit la manière dont on obtient une image, c’est le résultat qui compte, mais l’éthique voudrait que les moyens employés ne soit pas cachés. Dans ce cas, il n’y a pas de « triche ». L’utilisation par les logiciels des photos trouvées sur le réseau pose effectivement un problème de droit et j’avoue ne pas avoir trouvé de solution.
Je ferais quand même une différence entre les photos (prises sur le terrain et éventuellement modifiées) et les images, créées en grande partie par logiciels, qui ne jouent pas dans la même pièce.
C’est un problème, effectivement. On peut décider d’être optimiste et de se dire qu’il y aura un bénéfice à terme pour les photographes, mais je n’y crois pas beaucoup.
Les gros consommateurs d’image que sont les médias, la publicité, le corporate, la PAO, la déco etc… vont certainement utiliser de plus en plus cette technologie, au détriment des ventes des photographes qui ont fait du stock photo une partie de leur gagne-pain. Le point soulevé du droit d’auteur me semble très pertinent, cela peut être un écueil qui risque de freiner leur utilisation massive lorsque les premiers procès auront débouté leurs acheteurs qui les ont publiées.
Le fossé va aussi se creuser avec les puristes (ayatollah ?) du « brut de capteur », fiers de montrer des photos prétendument non traitées, alors que l’on sait bien que la suite de 0 et de 1 du fichier commence par être interprétée par la caméra elle-même, puis par le logiciel d’affichage ou l’écran utilisé…
Il y a peut-être une éthique à définir ? Les NFT pourront-elles faire la différence entre une photo authentique et une photo AI ? Cela pourrait être un débouché pour cette autre technologie numérique.
Tu as parfaitement bien posé le problème.
L’IA, est aujourd’hui une réalité qui deviendra de plus en plus prégnante dans le futur.
Dans de nombreux secteurs c’est une avancée majeure. Par exemple en médecine, l’IA devient supérieure à l’homme en matière de dépistage sur les clichés radiographique. Même et heureusement si l’homme reste toujours derrière la machine en dernière analyse. Mais pour combien de temps?
En photographie nous y avons déjà recours avec plaisir au travers de certaines fonctionnalités de nos logiciels favoris.
La question qui semble se poser est en fait très simple à poser, mais plus délicate pour y répondre: « qu’est-ce que l’art »
Si l’on considère trivialement qu’il s’agit d’un processus de création humaine, est-ce que l’homme qui a un certain projet mental, et qui derrière sa machine entre des mots clés et laisse tourner sa bécane est toujours un artiste.
C’est vrai la photo n’a pas tué le dessin et la peinture. Pourquoi l’ordinateur tuerai t’il la photo? Il faudra peut être inventer un nouveau mot pour désigner ce processus.
Autre questionnement qui n’est pas propre à l’IA, mais qui n’est que l’aboutissement ultime des réseaux sociaux; est-ce que son développement n’entraînera pas de facto une uniformisation des images produites? Et donc un appauvrissement, comme on le voit tristement du vocabulaire.
Il y a longtemps lorsque j’étais gamin, j’adorais la science fiction. Aujourd’hui je m’aperçois que les grands auteurs étaient souvent des visionnaires. Pour le pire et souhaitons le pour le meilleur.
Le problème est posé.